Agriculture

Plus de miel, plus d’apiculteurs

L’année dernière, le Canada a produit 95 millions de livres de miel. C’est la meilleure récolte des neuf dernières années et 11 % de plus qu’en 2014, malgré une légère réduction du nombre de producteurs. La majorité du miel canadien provient des Prairies. « En Alberta, deux producteurs ont l’équivalent, en nombre de ruches, de tout ce qui se trouve au Québec », calcule Rod Scarlett, du Conseil canadien du miel.

Au Québec, la situation du miel est inverse : contrairement aux résultats de l’ensemble du pays, il y a eu une petite diminution de la quantité produite l’année dernière, mais une augmentation du nombre de producteurs. « Il y a certainement un nouvel engouement pour le miel », confirme Félix Lapierre, qui travaille avec les abeilles depuis 18 ans à Brébeuf, dans les Laurentides. L’intérêt s’est intensifié lorsqu’on s’est mis à parler du déclin des colonies. « Tout le monde voulait sauver les abeilles », dit Félix Lapierre.

Alors qu’il était stable depuis une décennie, le nombre d’apiculteurs québécois a augmenté au cours des cinq dernières années, passant de 268 en 2011 à 315 apiculteurs professionnels l’année dernière. Si on additionne les amateurs, qui ont moins de 6 ruches mais qui ont quand même déclaré leurs abeilles, le nombre grimpe à 653. À cela, il faut ajouter les apiculteurs du dimanche qui ont une ruche dans leur cour. « On voit beaucoup de petits producteurs qui se lancent dans l’apiculture et qui font du miel pour leur consommation personnelle, surtout au Québec », explique Rod Scarlett.

Le président de la Fédération des apiculteurs du Québec, Léo Buteau, a des abeilles depuis plus de 30 ans. Il a aussi noté un regain d’intérêt récent des jeunes pour la profession. Résultat, il n’y a jamais eu autant d’abeilles domestiques au Québec : 49 600 colonies en 2014.

CONTRER LE DÉCLIN

Derrière ces chiffres étonnants se trouve une réalité méconnue : le travail des apiculteurs s’est beaucoup complexifié durant la dernière décennie. « On n’a jamais eu autant d’abeilles sur terre, c’est vrai. Mais on n’a jamais eu autant d’abeilles si fragilisées », nuance Anicet Desrochers, qui possède 1200 ruches à Ferme-Neuve. Pour maintenir une bonne production de miel et des colonies fortes, les apiculteurs ont dû redoubler d’ardeur. « La spécialisation s’est accentuée en apiculture », explique Anicet Desrochers, qui en est l’exemple incarné. 

À son carnet de charges déjà bien rempli, l’apiculteur des Hautes-Laurentides a ajouté une nouvelle activité depuis trois ans. L’été, Anicet observe ses reines. À la fin de la saison, il sélectionne une trentaine de championnes qui partent pour la Californie, en avion, dans de minuscules cages de plastique. Ce sont des abeilles qui ont un bagage génétique exceptionnel et sont très efficaces en climat nordique, explique-t-il. Son partenaire d’affaires de la vallée de Napa récupère les abeilles à leur arrivée et les intègre à ses ruches. Une quinzaine de championnes survivra et produira entre 20 000 et 25 000 descendantes qui seront de retour au Canada au printemps, à l’ouverture des ruches. 

VIE ARDUE

Les abeilles ne l’ont pas facile, dit le propriétaire des Miels d’Anicet. Les changements climatiques, les pesticides, notre façon de faire de l’agriculture en monoculture et le travail de pollinisation qu’on leur impose déstabilisent les insectes et font partie des facteurs qui contribueraient au taux de mortalité élevé observé depuis une dizaine d’années dans les colonies.

Cela déstabilise aussi la production : une bonne année peut être suivie d’une année catastrophique, dit Anicet Desrochers. Un document de Statistique Canada publié mercredi dernier appuie cette affirmation : « La production de miel est une activité instable, enregistrant des fluctuations annuelles marquées, calculent les experts de Statistique Canada. Par exemple, elle a atteint un sommet de 106,6 millions de livres en 2006, puis a diminué de plus d’un tiers pour passer à 64,9 millions de livres en 2007, pour rebondir à nouveau ensuite. »

Il faut se rappeler que, derrière un taux de mortalité moyen de 30 % se cachent des années épouvantables et des meilleures, rappelle Anicet Desrochers.

« Quand un organisme vivant n’est pas bien dans son milieu, il tombe malade. Pour les abeilles, c’est pareil. »

— Anicet Desrochers, éleveur de reines, Ferme-Neuve

UNE BONNE ANNÉE

La saison qui débute pourrait faire partie des meilleures.

La semaine dernière, Félix Lapierre a conclu la fin de l’hibernation de ses butineuses. Son entreprise, Rucher du Nord, compte 200 ruches au total. Bonne nouvelle : l’hiver doux a été bon pour les abeilles québécoises. Le taux de mortalité est bas, confirme la Fédération des apiculteurs du Québec qui l’estime inférieur à 10 %, ce qui est d’excellent augure pour la saison 2016. Les premières abeilles sont déjà à l’œuvre et butinent les fleurs sauvages, les érables, les saules…

Si la température se réchauffe, Félix Lapierre pourra faire son miel de printemps, ce miel mystérieux et rare. « C’est un petit miracle, dit-il. Il a un goût d’agrume qui lui vient en partie des cerisiers et des pissenlits. » Son miel de printemps est récolté à la mi-juin. Une ruche peut en donner de 5 à 10 lb, alors qu’en été, les abeilles sont plus généreuses, livrant un bon 80 lb de miel par ruche à la fin du mois de juillet. Certaines années, les conditions météo ne permettent pas une récolte de printemps. Les connaisseurs peuvent se rabattre sur le miel de sarrasin de Félix, noir comme de la mélasse.

VOL DE RUCHES

La Sûreté du Québec vient d’ouvrir une enquête afin d’élucider le vol de 180 ruches qui s’est produit la semaine dernière dans un champ de Saint-Valère, une municipalité située près de Victoriaville. Aussi inusité que soit ce larcin, il n’est pas unique. Félix Lapierre a subi le même sort à la fin de la saison, l’année dernière. « Ça ne prend qu’un autre apiculteur pour faire ça », conclut-il. Ses 18 ruches n’ont jamais été retrouvées.

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